NATIONALQUAI VEDUTA ET PANORAMA, texte de Hélène Cagnard pour le catalogue I LOVE LUZERN
Bien que l’artiste ne recoure ni à la mine ni au papier, c’est pourtant bel et bien de dessin qu’il s’agit dans « Nationalquai Panorama », ou tout au moins de lignes, qui dessinent le panorama environnant la ville de Lucerne. Un site photographié, reproduit un nombre incalculable de fois. Philippe Hinderling en propose lui, à Lucerne même, et sous le panorama Bourbaki bien connu, une version toute personnelle. Au moyen d’un matériau quotidien, mais à première vue rédhibitoire, un feuil de plastique plaqué directement sur le vitrage d’entrée de l’exposition, l’artiste évoque les différents plans et structures qui construisent le paysage. Malgré l’usage fait de ce matériau fragile, qui vient imperceptiblement contredire ses qualités intrinsèques - transparence, quasi immatérialité et aspect bidimensionnel subtilement s’annulent dans les plis du plastique -, l’œuvre reste discrète dans sa matérialité.
Cependant, la représentation fidèle du paysage existant n’est pas tout ; Philippe Hinderling se joue d’abord de la perception du spectateur. Ce dernier, trompé par la transparence de la réalisation artistique qui l’incite à regarder au travers, au delà d’elle, ne prend conscience qu’avec retard de son véritable lieu et de son sujet. L’artiste semble vouloir détourner le regard du spectateur de sa création pour mieux l’y ramener, par l’intermédiaire intrigant d’un matériau et de son utilisation. Cette errance du regard répète peut-être celle advenant au sein du vaste panorama réel que l’œuvre représente. Le plasticien offre ainsi au spectateur non seulement une œuvre, mais surtout une expérience.
Création éphémère, « Nationalquai Panorama » possède un alter ego, « Nationalquai Veduta ». Il s’agit d’un objet, également élaboré à partir du même panorama, des mêmes lignes incarnées ici par des baguettes métalliques. Rassemblées en un fagot entièrement empaqueté dans le même feuil de plastique, elles forment une entité tout à coup bien concrète, et transportable, cependant quelque peu mystérieuse puisque l’accès, ne fût-ce que visuel, à son contenu ainsi protégé est empêché.
Les deux œuvres ne se chargent d’aucune couleur qui pourrait évoquer le site réel de référence. Le caractère abstrait de ces deux réalisations en est ainsi renforcé, chacune mêlant en un désordre apparent les lignes constitutives d’un paysage, de tout paysage, rendu de manière particulièrement originale, tout à la fois réaliste et abstraite. hc